Pourriez-vous nous expliquer la différence entre un ou une coach d’intimité versus une direction d’intimité certifiée ?
Auréliane : Alors, une directrice d’intimité certifiée, c’est une artiste spécialisée dans la choré- graphie et l’accompagnement des scènes d’intimité en spectacle vivant. Mon rôle, c’est de travailler main dans la main avec la mise en scène et les interprètes, dès les premières lectures, pour construire des scènes d’intimité qui soient à la fois consenties, précises et sécurisées, tout en servant la vision artistique du spectacle. Un peu comme pour une scène de combat, on répète et on chorégraphie chaque geste dans un cadre clair, basé sur le consentement. J’aime bien dire que je rends les scènes de sexualité simulée à la fois sexy… et consentantes !
Pour ma part, je suis certifiée par IDC, ce qui signifie que j’ai suivi plusieurs centaines d’heures de formation sur plusieurs années. En plus, je respecte un code éthique strict, je fais de la formation continue, et je renouvelle ma certification tous les trois ans pour rester à jour avec les meilleures pratiques internationales.
De l’autre côté, un·e coach d’intimité travaille plus sur un accompagnement personnel avec les artistes, pour explorer leur rapport à l’intimité ou à leur corps, souvent en dehors du cadre d’une production. C’est un travail complémentaire, très précieux, mais bien différent de celui de directrice d’intimité sur une œuvre.
Le spectre est assez large quand on parle d’intimité, dans quel contexte ou pour quel type de mandat peut-on faire affaire avec vous? Ce n’est pas forcément pour une scène de sexualité ?
Auréliane : Exactement, l’intimité, ce n’est pas juste la sexualité. Je travaille surtout sur des scènes de sexualité simulée, des baisers, de la nudité, ou même des scènes liées à des violences sexuelles, mais mon interven- tion va bien au-delà. L’intimité peut se retrouver dans des moments beaucoup plus subtils : des scènes d’hyperexposition, des moments de soin comme un bain à l’éponge, un accouchement, une opération… Ces situations demandent toutes une gestion très particulière de l’intimité. Parfois, un simple effleurement de main dans un huis clos peut être plus intime qu’une orgie. Ce qui compte, c’est la qualité de la connexion, les émotions partagées, pas forcément la nature de l’acte lui-même.
On n’en sait pas beaucoup sur l’origine de ce métier. Où ça a commencé ? D’où est venu le besoin selon vous ?
Auréliane : Je dirais que le besoin a toujours été là… mais il n’a pas toujours été entendu. Pendant longtemps, les scènes d’intimité n’étaient pas encadrées, et on ne se questionnait pas sur le consentement ni le bien-être des artistes. C’était un peu improvisé, les interprètes étaient laissé.es à eux-mêmes. Et puis, avec le mouve- ment #MeToo, il y a eu une vraie prise de conscience : on ne pouvait plus continuer comme ça, il fallait créer des espaces de travail plus respectueux et sécurisés.
C’est à ce moment-là que la direction d’intimité a commencé à prendre sa place. Mais en réalité, ça a commencé un peu avant. En 2006, Tonia Sina a été la première à développer cette pratique dans le cadre de sa maîtrise. Quelques années plus tard, elle s’est associée à Alicia Rodis et Siobhan Richardson, deux directrices de combats, et ensemble, elles ont fondé Intimacy Directors International. Elles ont vraiment jeté les bases de ce que la direction d’intimité pourrait et devrait être. Depuis, ça a beaucoup évolué, surtout dans les pays anglophones.
On en parle de plus en plus, notamment parce que certaines associations, aux États-Unis par exemple, exigent maintenant qu’il y ait un·e coordinateur·rice d’intimité sur les tournages. Mais c’est un changement qui prend du temps. On ne transforme pas des habitudes du jour au lendemain. Il faut apprendre de nouvelles compétences, se former, expérimenter et ajuster, et construire ensemble de nouvelles méthodes de travail.
La notion de consentement est de plus en plus présente dans l’espace public, j’imagine que c’est quelque chose qui fait partie intégrale de votre travail ? Pouvez-vous nous en dire plus
Auréliane : Absolument. Le consentement est vraiment au cœur de ma pratique, c’est même ce qui m’a amenée à m’intéresser à la direction d’intimité. Ce qui me passionne, c’est cette idée de redonner du pouvoir aux interprètes, de replacer l’individu au centre du processus de création.
Souvent, on pense que le consentement, c’est simplement demander : «Est-ce que ça va si je fais ça?». Mais en réalité, c’est beaucoup plus large que ça. C’est une façon de travailler qui respecte les limites, qui valorise la communication, et qui permet aux interprètes de rester en contrôle de leurs corps à chaque étape.
C’est n’est pas juste une « checklist » ou une formalité. C’est une dynamique de collaboration, un dialogue constant. Et pour moi, c’est essentiel, non seulement pour le bien-être des artistes, mais aussi pour la qualité du travail qu’on crée ensemble.
Dans le cas précis de La Délivrance, où et comment êtes-vous intervenue?
Auréliane : Petit divulgâcheur ici ! Pour La Délivrance, j’ai accompagné les scènes d’intimité romantique entre Marianne et Robert, mais aussi sur les scènes d’accouchement et l’allaitement.
Mon travail commence toujours par la lecture du texte, puis une rencontre avec la mise en scène pour bien comprendre sa vision. Ensuite, je prends le temps de rencontrer chaque interprète individuel- lement pour discuter de leurs limites, de leurs besoins.
On passe ensuite à une phase de recherche chorégraphique, puis on construit la scène, geste par geste, en répétition. C’est un travail d’équipe, où chaque élément est réfléchi et discuté. Une fois la structure en place, les interprètes peuvent vraiment s’approprier la scène et y mettre toute leur intention de jeu. Je m’appuie toujours sur les cinq piliers de la direction d’intimité : consentement, contexte, communication, chorégraphie et clôture. L’objectif, c’est de raconter l’histoire de la façon la plus juste possible, tout en respectant pleinement les corps et les limites de chacun·e.
Comment faites-vous pour représenter justement des gestes comme un accouchement ? Y’a-t-il de la formation continue ou précise à faire pour chaque mandat ?
Auréliane : Oui, absolument ! Chaque projet demande une approche différente, donc il y a toujours une forme de recherche ou d’apprentissage à faire en amont. On peut parler de formation continue, au sens large : ça peut passer par des lectures, des formations ciblées, ou encore des collaborations avec des spécialistes selon les besoins du mandat.
Mon objectif est de créer des scènes d’intimité qui soient crédibles sur les plans physique et dramaturgique. Pour ça, je fais d’abord des recherches physiologiques : concrètement, qu’est-ce qui se passe dans le corps lors d’un accouchement ? Et ensuite, je me penche sur le vécu du personnage : comment traverse-t-elle ce moment-là ? Est-ce que ça la bouleverse, la transforme ? Qu’est-ce qu’on veut raconter à travers cette scène ?
Dans La Délivrance, on a eu la chance de collaborer avec Maxe Tremblay Bluteau, qui est sage-femme. Son expertise a vraiment enrichi le processus et nous a permis de construire une scène à la fois réaliste, sensible et bien ancrée dans le récit.
Encore pour La Délivrance, on a instauré des répétitions fermées. Pourriez-vous nous expliquer en quoi ça consiste et l’importance de celles-ci ?
Auréliane : Oui, les répétitions fermées, c’est simplement un moment où on travaille les scènes d’intimité en petit comité : les interprètes concernés, la mise en scène, l’assistance et moi. Sur une production, il y a toujours beaucoup de monde qui circule, et personne n’a envie de répéter une scène de sexualité simulée pendant que quelqu’un.e passe chercher sa bouteille d’eau. Une fois la chorégraphie crée, la répétition est à nouveau ouverte à toustes.
Qu’est-ce que vous aimeriez que les gens sachent ou retiennent sur ce métier?
Auréliane : La direction d’intimité, c’est un vrai métier, pas juste une mode ou un quelque chose qu’on improvise. Il faut vraiment être sérieux.se et bien formé.e, parce que, si on ne sait pas ce qu’on fait, ça peut avoir des conséquences vraiment difficiles pour les interprètes.
Mais ce rôle, ce n’est pas seulement de veiller au consentement, c’est aussi pour apporter quelque chose en plus au spectacle en termes de dramaturgie sexuelle. Ça aide à raconter les scènes sensibles avec respect, de manière juste et vraie, et ça rend le projet beaucoup plus fort sur le plan artistique.
Quelles sont les ressources disponibles pour quelqu’un qui aimerait faire affaire avec un ou une direction d’intimité
Auréliane : ll y a bien sûr le site de l’IDC ,qui permet de trouver un·e professionnel·le certifié·e près de chez vous. C’est une très bonne référence pour s’assurer de la formation et de l’expérience de la personne. Cela dit,
il y a aussi des gens qui exercent sans être officiellement certifiés. Dans ce cas, je conseillerais de rester vigilant·e, d’utiliser son bon sens, et surtout de demander des références et des preuves de formation. Ça ne coûte rien de poser les bonnes questions !
À ma connaissance, au Québec, en plus de moi, il y a Maude Boutin St-Pierre, qui travaille principalement pour la scène, et l’ICCQ pour des projets à l’écran.