Erika Soucy est auteure en résidence à La Bordée pour la saison 2020-2021. Scénarios pour sortie de crise (titre provisoire) est sa toute dernière création. À quelques semaines d’une première version finale du texte, Rosie Belley, responsable des projets spéciaux, s’est entretenue avec elle.

 


 

À la fois comédienne, auteure et chroniqueuse, Erika Soucy a connu un beau succès dans les dernières années. Les murailles (VLB éditeur, 2016), son premier roman, a notamment été encensé par la critique et l’adaptation théâtrale du texte a été présenté à guichet fermé au Périscope en avril 2019 en plus de se mériter une nomination au Prix Michel-Tremblay 2019.

 

Depuis, les projets s’accumulent et les opportunités ne cessent de se présenter à elle. Aussi bien dire qu’Erika Soucy a elle-même vécu un American dream; cette montée fulgurante vers la lumière des projecteurs, le succès, la notoriété. Un rêve américain qui a pourtant ses limites et ses incohérences.

 

Alors que tout s’arrête en mars 2020, elle réalise que son année la plus lucrative, la plus dynamique professionnellement parlant, l’aura menée à bout de souffle. Épuisée et en décalage avec le reste de sa famille qui n’a pas connu cette même ascension, elle se retrouve confuse et désemparée. C’est le point de départ de ce qui deviendra sa plus récente création : Scénarios pour sortie de crise (titre provisoire).

 

Le point de départ

 

Cela fait environ un an qu’Erika s’affaire à rédiger cette nouvelle pièce qui s’inscrit tout à fait dans sa démarche autofictionnelle. Lors de notre entretien, elle me parle de transfuge de classe, d’inégalité des chances, de résilience et d’intransigeance. Cette capacité qu’elle a à ne faire aucune concession, à sacrifier ce qui est nécessaire au profit d’un objectif fixé, d’un rêve, semble la fasciner et la contrarier à la fois. Car ce qu’elle sacrifie, c’est souvent son équilibre, sa santé mentale et physique, son humanité.

« Pour faire ta place au soleil, me lance-t-elle, il faut être intransigeante et ça, je l’ai ! C’est un trait de personnalité nécessaire dans notre système. »

Ou, du moins, il semble être un prérequis à ses yeux pour parvenir à ses fins dans une société où l’argent et la croissance à tout prix mènent le monde.

 

Pourtant, si cette attitude a fonctionné pour elle, ça ne s’est pas avéré adéquat pour son frère. Issus de la même famille, du même milieu : l’une a une maison en banlieue et l’autre, à un certain moment de sa vie, n’avait pas de domicile fixe. « Comment se fait-il qu’avec sensiblement le même bagage, mon frère et moi ayons réagi si différemment ? » Et alors qu’elle tente de lui venir en aide, de l’accommoder, de lui insuffler motivation et autonomie, elle se voit confrontée à ses propres limites et à l’instabilité que la présence de son frère génère dans sa vie.

« Quand la base désire s’élever, ça déstabilise la structure… »

 

Un couteau à deux tranchants

 

En parvenant à « accéder » au rêve américain, Erika confirme qu’il est atteignable, mais « je suis l’exception qui confirme la règle », dit-elle. Et cette règle qui prévaut est que la structure de notre société favorise le maintien d’un individu dans une même classe sociale en plus d’alimenter les inégalités.

 

Or, la méritocratie, cette idée que si nous travaillons fort pour quelque chose, nous l’obtiendrons inévitablement, est le fondement même du rêve américain, sans toutefois être vrai à tout coup. Elle ajoute:

« En persistant à croire qu’il n’en revient qu’à la volonté d’un individu d’améliorer son sort et en justifiant cette croyance par les quelques exceptions qui y parviennent, on perpétue cette notion de méritocratie et on justifie du même coup l’intransigeance qu’on se porte les uns envers les autres. »

 

Une intransigeance exempte de nuances et d’humanité. Si cette dernière lui a permis de « réussir », elle semble toutefois perpétuer une violence envers les autres et envers elle-même.

« Parce qu’elle a un coût cette intransigeance. Au fil des ans, je réalise que j’ai été extrêmement exigeante envers moi-même et que quand ça s’est mis à fonctionner pour moi, l’anxiété a monté elle aussi. Mais ce n’est pas viable », me partage-t-elle, préoccupée.

 

Face à cette situation, c’est toute une conception de la société qui est remise en question et qui l’inspire du même coup à poursuivre son écriture. « Comment arriver à tirer son épingle du jeu sans piler sur la tête des autres ? » Et sur la sienne. Il y a là un nœud à dénouer.

 

Entre impuissance et bienveillance

 

Alors que nous échangeons, prises toutes les deux dans ces réflexions qui nous dépassent et nous touchent intimement à la fois, un semblant de lumière semble se faire sur la situation.

« Peut-être que la clé est là, être moins intransigeante… » pense-t-elle à haute voix, le regard avide de réponses.

 

S’ensuit une dégringolade de réflexions sur l’indulgence, la compassion, la bienveillance et l’humanité qui semblent complètement absentes de nos organisations ironiquement composées d’humains.

 

C’est sur cette note à la fois empreinte d’impuissance et d’espérance qu’on se quitte alors qu’il lui faut encore écrire le dénouement de son histoire. Une fois que ce sera fait, une équipe de comédien.ne.s sera rassemblée pour qu’elle puisse voir et entendre la façon dont ses mots s’incarnent et se transposent dans la voix et le corps de ses partenaires de jeu. Ultime étape pour apporter les derniers ajustements à son texte et qu’elle puisse finalement délaisser son rôle d’auteure pour adopter celui de comédienne… Car, oui, si vous aurez éventuellement l’occasion de voir les mots d’Erika Soucy prendre forme sur la scène de La Bordée, ce n’est pas sans la voir du même coup les incarner !

 

Rosie Belley
Responsable des projets spéciaux
projets@labordee.ca